Eloge du lauréat par Jean-Pierre Vallotton

Entrer dans un livre de Nimrod, c’est pousser la porte d’un monde plein de surprises et de merveilles, qu’il s’agisse de ses romans qui nous font découvrir son pays d’origine, le Tchad, ou de ses recueils de poèmes.
C’est ainsi que notre jury, composé , je vous le rappelle, de Catherine Seylaz Dubuis, Jean-Dominique Humbert, Ferenc Rakoczy et moi-même, a décidé d’attribuer le prix de Poésie Pierrette Micheloud 2016 à son dernier recueil «Sur les berges du Chari, district nord de la beauté».
L’une des richesses de ce livre est sa diversité et son souci de renouvellement par rapport aux recueils qui l’ont précédé. En effet, Nimrod ne fait pas partie de ces poètes dont on a l’impression qu’ils passent leur vie à réécrire le même poème figé dans une forme immuable. Je pense que Nimrod respecte trop ses lecteurs pour ne pas avoir envie de les surprendre, voire de les dérouter – pour leur plus grand plaisir. Le livre que nous honorons ce soir est articulé en cinq parties bien distinctes, qui révèlent cette diversité que j’évoquais à l’instant.
On y trouve notamment des poèmes très courts, presque aphoristiques, dont l’effet de concentration poétique est d’autant plus efficace.
Permettez-moi d’en citer quelques-uns :

« Dans le chambranle de la lumière, je ravauderai la porte » (sans doute pourrait-on évoquer ici l’ombre tutélaire de René Char).

« Tu n’attends pas l’été / chose ultime // tu flambes / tu n’es jamais chez toi / oublié / dans le soleil ».

Ou encore : « C’est ma mère / qui attend / son dos tourné / vers moi / telle une stèle ».

D’autres poèmes, au contraire, son animés d’un souffle puissant, qui nous entraîne dans son sillage sur plusieurs pages, rythmés avec art.
Voici le début de « Tam-tam » :

« Revoir les dieux / les jeunes dieux / les déesses // faut y croire / croire au tam-tam / tam-tam au cœur / chamanique / totémique // cris proférés / cris différés // tam-tam totémique / tam-tam chamanique // pour le dieu pour le miracle // toujours montera le cri / qui renverse le monde / dansant chantant »

Nimrod n’est pas seulement un poète de la nostalgie, de la célébration de la vie et d’un lyrisme de haut niveau. Il est également un homme témoin de son temps et des atrocités qui le gangrènent et font honte à l’humanité. Le poète éprouve alors la nécessité impérieuse de clamer sa colère, donner libre cours à son indignation (ce n’est donc par hasard que cette partie du livre s’intitule « L’enragement ». C’est ainsi qu’il rend hommage aux mineurs grévistes fusillés en Afrique du sud en 2012:

« ils ont remis ça / ils tirent cette fois avec des balles blanches et noires / le sang est désespérément rouge / comme au premier lever de soleil sur le monde / comme du temps de Caïn »

ou aux étudiants tchadiens brutalement réprimés en 2015 :

« Ils les frappent avec des tuyaux d’arrosage / Ils les frappent avec des tuyaux en latex // Ils les frappent sous le soleil de midi / Ils les frappent en double salto // La poussière meuble camaïeu / La poussière douceur oubliée // La poussière crève la dalle sans dalle / Sous le brodequin des ninjas souriants »

Poète de la tendresse, poète de la révolte, c’est une des très grandes voix de la poésie française d’aujourd’hui que j’ai le très vif plaisir d’accueillir parmi nous ce soir.

Jean-Pierre Vallotton